Ci-dessous, un "article" disponible dans la version online du Nouvel Obs . Il propose des extraits d'entretiens avec des journalistes étrangers, correspondants pour des journaux européens. Ils livrent leur regard sur le climat d'agitation sociale qui règne en France depuis une semaine.
PRESSE
Le mouvement social vu par les journalistes européens en France
Nouvelobs.com a voulu savoir ce que les journalistes européens basés en France pensaient du mouvement social. C’est un point de vue sans complaisance que nous livrent nos voisins : ils ont globalement du mal à comprendre ce mouvement, ils le trouvent peu légitime, plus politique que social, et considèrent qu’il traduit, selon eux, le conservatisme et les bocages du système français.
Jochen Hehn, correspondant à Paris du quotidien allemand Die Welt :
"Il faut distinguer le mouvement des cheminots, des fonctionnaires et des étudiants.
Pour ce qui est des cheminots, la grève ne me semble pas justifiée. A mon sens, il est juste de traiter tous les travailleurs, du privé comme du public, de la même manière. Les réformes concernant les régimes spéciaux me paraissent donc justifiées puisqu’elles visent à instaurer plus d’égalité.
Quant aux étudiants, ils veulent revenir sur une loi qui a été négociée entre les différents acteurs dont l’UNEF et adoptée par le parlement. Et les voilà maintenant qui semblent découvrir cette loi plusieurs mois après. Ce n’est pas très intelligent de leur part…
Pour les fonctionnaires, je peux comprendre leur grève mais je ne suis pas d’accord. La majorité des Français a élu Sarkozy sur un programme qui incluait la réforme de la fonction publique en réduisant les effectifs. Sachant que 5 millions de fonctionnaires, c’est un record en Europe. Chacun, en France, ne semble regarder que son propre intérêt au mépris d’une vision plus globale.
Finalement, ce qui est frappant, c’est que les grèves sont très anarchiques et politiques en France tandis qu’en Allemagne elles sont plus organisées et elles concernent plutôt les salaires, des problèmes de fonctionnement… Il me semble qu’en France il devient nécessaire de repenser la relation entre partenaires sociaux. Et apprendre à ne pas faire grève avant même d’entamer des négociations."
Ruben Amon, correspondant à Paris du quotidien espagnol El Mundo :
"Pour moi ce mouvement social est une surprise. Sarkozy avait promis ces réformes. Qu’est-ce qui a pu générer cette contestation ? S’agit-il d’un problème de méthode ? Il est difficile de comprendre la position des syndicats.
Pour ce qui est des étudiants, la loi ayant été approuvée en août, je pense que leur mouvement procède plus d’une démarche politique – ils veulent montrer leur opposition à Sarkozy - que d’une contestation de la réforme sur l’autonomie des universités.
Pour ce qui est des régimes spéciaux, je pense que cette grève est la mère de toutes les autres : car accepter ces réformes sur les régimes spéciaux, c’est ouvrir la porte à toutes les autres réformes. Reste que si cette grève des cheminots est peut-être légitime, en paralysant tout le pays ils se servent de leur pouvoir de manière injuste.
Ce qui me surprend plus généralement en France, c’est que les gens protestent le plus souvent pour que les choses ne changent pas. En Espagne, il me semble que lorsqu’on fait grève c’est pour changer les choses !"
Giampiero Martinotti, correspondant à Paris du quotidien italien La Repubblica :
"Les cheminots, les étudiants, les fonctionnaires… Il s’agit de mouvements différents qui se rejoignent et je pense que, pour ce qui est des fonctionnaires, la jonction avec le mouvement des cheminots est contre-productive. Car la grève des fonctionnaires, qui pourrait être l’expression d’un malaise plus large dans une France confrontée notamment à un pouvoir d’achat problématique, se noie dans celle des cheminots. Le mouvement des cheminots me rappelle celui des dockers à Gênes. Dans les deux cas, il s’agit de corporations qui résistent pour conserver ce qu’elles ont. Comme le mouvement des cheminots en Allemagne, il s’agit de grèves de corporations. On n’est pas en 1995. Et les cheminots, à mon sens, défendent quelque chose d’indéfendable. La population s’est résignée ou est en passe de se résigner à travailler plus longtemps. La société vieillit, comme partout en Europe occidentale, et je crois que les gens se rendent à cette évidence. En Allemagne, en Italie, partout en Europe l’âge de la retraite est repoussé. Le mouvement étudiant donne, quant à lui, l’impression d’être mené par des franges radicales de gauche qui ne parviennent pas à créer un véritable mouvement de masse.
Globalement, ce mouvement social a lieu dans un contexte automnal qui est toujours difficile pour les gouvernants, de plus sur fond d’augmentation des prix du carburant et de problèmes de pouvoir d’achat. Il semble traduire un malaise social latent dans un pays où le président parle de travailler plus pour gagner plus. Il semblerait que Sarkozy ait suscité des attentes non satisfaites. La France a aussi un autre problème : ses syndicats ne savent pas négocier. Il n’y a pas de négociation sociale. C’est effarant. En France, s’asseoir pour négocier semble aussitôt considéré comme une traîtrise.
Moralité, les journaux italiens ne s’y intéressent guère. Un une semaine, à la Repubblicacomme chez notre concurrent, on n’a consacré qu’un article au sujet."
Nikolai Jakobsen, correspondant à Paris du quotidien suédois Aftonbladet :
"J’ai l’impression qu’en France un mouvement en entraîne très souvent un autre. Cette fois, il semblerait que les étudiants aient eu l’idée de contester la loi sur l’autonomie des universités parce que les cheminots faisaient grève. Ailleurs, il me semble que même si d’autres branches de la population peuvent vouloir aussi faire grève, ils attendent d’abord que les premiers aient réglé leur problème. En Suède, il arrive qu’on fasse grève bien entendu. Mais il y a toujours des négociations patronats/employés en cours, un service minimum assuré pour les transports, et les problèmes sont traités les uns après les autres. On ne fait pas tous grève pour des raisons différentes au même moment.
Je pense en fait que le mouvement actuel en France est très politique. Personnellement, je ne trouve pas la grève des cheminots légitime car la situation économique actuelle fait que vous n’avez pas les moyens de maintenir des régimes spéciaux. De plus, je ne vois pas pourquoi certains y auraient droit et pas d’autres. 40 ans de cotisation pour tout le monde, cela me paraît logique et correspondre à la situation économique dans laquelle se trouve la France.
Pour ce qui est des étudiants, les universités ont besoin de se réformer. Et je pense que les propositions qui ont été faites vont dans les bonnes directions. Ce qui est inquiétant, c’est que les jeunes, censés être une force de changement, disent "non" tout de suite, sans même se donner la possibilité de tester des changements."
Sophie Pedder, correspondante à Paris de l’hebdomadaire britannique The Economist :
"On pourrait appeler ce mouvement social « le moment Thatcher » de Nicolas Sarkozy. Je ne veux pas dire par là que la France ressemble en ce moment à la Grande Bretagne des années Thatcher mais il est certain, à mes yeux, que ce mouvement de contestation fait figure de test crucial pour le président français, comme Thatcher avait eu droit à son test. S’il échoue à ce moment clef, on peut parier que les grandes réformes prévues seront abandonnées pour les 5 années à venir. Ce mouvement social permet donc de tester la volonté de Sarkozy de réformer le pays.
L’enjeu est bien plus important que la question des régimes spéciaux, la grève des fonctionnaires, le blocage des universités par les étudiants. On est plus, à mon sens, dans le symbolisme, dans le rapport de force entre Sarkozy et les syndicats pour savoir qui, au final, guidera la politique pendant le mandat du président : lui ou eux. Le vrai test vient moins des étudiants et des fonctionnaires que des syndicats des transports publics parce qu’ils ont le pouvoir de causer le maximum d’inconvénients aux usagers, le maximum de chaos. C’est pour ces raisons que l’on suit avec beaucoup d’intérêt ce mouvement social. Nous avons publié un reportage mais aussi un éditorial encourageant Sarkozy à ne pas céder. Car la France a besoin de réformes."
Propos recueillis par Sarah Halifa-Legrand
(le mardi 20 novembre 2007)
mercredi 21 novembre 2007
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